Retour sur la manif anti-carcérale de Poitiers du 10 octobre 2009

Publié le par libération humaine & animale

Avant tout, si vous ne savez pas vraiment de quoi il est question, voici un condensé de ce qui est paru dans les médias sur cette manifestation anti-carcérale à Poitiers le samedi 10 octobre 2009 :
http://juralibertaire.over-blog.com/article-la-police-travaille-a-poitiers-37321146.html

Plusieurs organisations qui ont contribué à l'organisation de cette journée ont fait un communiqué :


- Le collectif contre la nouvelle prison de vivonne :

Nous , collectif contre la prison de vivonne, tenons à revenir sur les événements qui se sont déroulés lors de cette journée anti-carcérale du 10 octobre lancée à notre initiative. Avant toutes choses, il nous paraît important de rappeler à tous nos détracteurs que la manifestation n'était pas le centre de la journée. Nous invitons ainsi tout le monde à relire le programme de cette journée qui appelait outre la manifestation festive à des débats avec intervenants extérieurs sur des thèmes tels que le sécuritaire ou les luttes anticarcérales... ainsi qu'à des concerts le soir même. Par ailleurs les débats qui ont eu lieu avant la manifestation, contrairement au reste de la soirée qui a été annulé par les forces de l'ordre, montrera peut être par les apports qui en sortiront que la réflexion sur le sujet n'était pas exempt de la journée. Les déclarations de tous les “citoyens” et “journaleux” qui ont pris hâte de faire passer ce collectif comme un prétexte pour organiser une “émeute” et étant “une cellule d'ultra gauche” nous paraît donc d'une stupidité sans nom, d'un mensonge et d'une volonté politique des plus réactionnaires. Encore une fois nous assistons à l'utilisation d'outils médiatico-politique récurants ces derniers temps au même titre que les étiquettes “d'anarcho autonome” et “d'ultra gauche organisée”.

Bien que solidaire de tous les interpellés et n'ayant aucun interêt à juger en bien ou en mal les actes commis, nous pouvons toutefois dire que les pratiques utilisées ne correspondaient pas à nos attentes et qu'un bilan de la stratégie politique emmanera de ces evenements. Nous rappelons que, bien qu'ayant appelé à cette manifestation, nous ne sommes en aucun cas responsable des actes qui y ont été commis. Mais parler d'une violence à sens unique nous paraît inexact en vue de la gestion policière qui a suivi la manifestation : occupation policière massive de tout le centre ville (mise en place d'un quasi “couvre-feu”), arrestations arbitraires, opération policière au numéro 23 de la porte de Paris (local culturel), où devait se dérouler la suite de la journée, digne d'une ère ancienne ... Le numéro 23, qui n'avait aucun lien avec les événements de la manifestation a ainsi vu une perquisition des plus violentes. Les personnes présentes ont ainsi subit diverses violences (coups de tonfas), humiliations (face contre terre les mains sur la tête) et contrôle abusif des identités (photos et question...) pendant près de 4h! De plus les policiers présents ont volontairement dégradé le matériel sono loué ou prété pour l'occasion (estimation à plusieurs miliers d'euros)!!!

Ainsi il nous semble que le moment n'est pas à la dénonciation mais bel et bien à la solidarité avec les militants inculpés!

Libération des manifestants en garde à vue!

Le collectif contre la prison de vivonne.

source : http://anticarceral.poitiers.over-blog.fr/



- L'OCL (Organisation Communiste Libertaire) - Poitou :
Il n’y a pas eu plus d’émeute à Poitiers le 10 octobre que de socialisme en France en mai 1981

 

Quelques poubelles qui brûlent, quelques vitrines brisées (celles de banques essentiellement, ainsi que de Bouygues Télécom – le maître d’œuvre de la nouvelle prison à Vivonne –, et d’un journal local), quelques fumigènes, le tout mettant aux prises quelques dizaines de personnes avec la police pendant une petite heure, cela ne fait pas encore une émeute !

Une émeute, c’est, rappelons-le, un soulèvement populaire mis en œuvre par une partie importante et significative de la population dans un espace politique donné.

En revanche, l’intrusion policière couverte par le procureur de la République, à huit heures du soir, dans un lieu privé, bien après et loin du lieu de la manifestation, pour procéder au contrôle d’identité des 100 personnes présentes pour un débat, un repas et un concert (toutes choses qui ne purent avoir lieu de ce fait), cela ressemble fort à un état de siège interdisant toute réunion la nuit venue ! Tous et toutes au sol, mains sur la tête en plein air pendant cinq heures, cela n’est pas encore si banal que l’on ne puisse en faire grand état.

La journée anticarcérale du 10 devait être l’occasion – en profitant du transfert, prévu le lendemain, des prisonniers de la vieille prison de Poitiers vers la neuve de Vivonne, à quelques kilomètres – de poser la question cruciale de la prison dans une société où le sécuritaire et l’enfermement sont les deux pivots du maintien de l’ordre capitaliste.

Un premier débat s’est tenu en début d’après-midi, parfaitement introduit par une militante de l’Association pour le respect des proches des personnes incarcérées (ARPI). Il fut l’occasion d’aborder de multiples questions dans une ambiance d’écoute et de réflexion assez rare sur ces sujets particulièrement sensibles. Quel sens donner à l’abolitionnisme ? Quelle population croupit dans les prisons ? Dans une société « libertaire », quel sens aura la déviance ; faudra-t-il ou non « punir », pourquoi, comment ? Bref, autant de questions guère débattues en public. Une réussite.

Ensuite, départ pour la manif « festive ». Mais s’il y a eu problème alors, ce n’est pas tant dans les événements décrits succinctement plus haut – qui, répétons-le, ne furent en rien une émeute, et dont la responsabilité revient essentiellement aux forces de l’ordre – que dans l’ambiance qui y régnait. Des groupes de militants, ceux que nous appelons « hors-sol », ont, de fait, pris le contrôle de la manifestation, qui regroupait environ 300 personnes, imprimant leurs décisions, leur rythme, leur manière d’agir et leurs fantasmes à l’ensemble des manifestants (sans se préoccuper des retombées sur l’environnement local). A disparu alors tout souci d’expliquer le pourquoi de cette manifestation – pas de tract clair, pas de slogans lancés, des banderoles vides de toute inscription ( !). Or, quand de tels messages sont absents, il ne reste plus que celui des vitrines brisées comme but en soi et unique non-message ! Comme si l’objectif de la journée, qui était de sensibiliser un peu une frange de la population à l’absurdité de la prison, devenait secondaire par rapport à, par exemple, l’inscription du slogan le plus imbécile de l’année : « La plus belle jeunesse est celle qui est en prison », ou encore à s’affronter avec la police. Bref, une ambiance pas trop démocratique (il n’est pas de démocratie que bourgeoise !) et un avant-gardisme rappelant de sinistres heures du gauchisme militaro que l’on croyait renvoyé aux poubelles de l’Histoire. Une manifestation où la peur et l’angoisse devant des visages figés par des masques et des uniformes sombres nous plaçaient aux antipodes des yeux dans les yeux et de la communication colorée et festive prévue.

Ce n’est pas la première fois que cela se produit, et il est urgent que les pendules soient remises à l’heure, afin que le sens des mobilisations en cours ne passe pas au second plan en nous faisant entrer dans un cycle permanent de violence-répression où notre énergie s’usera au nom de la solidarité (« malgré tout », puisque ce sera un choix forcé). Autrement, les sempiternelles obligations antirépressives risquent de devenir pour nous le pendant des journées d’action rituelles de la CGT.

OCL-Poitou


- Le second communiqué de l'OCL :


Nouveau Communiqué OCL Poitou – Mardi 13 octobre

Le Monde du 12 octobre citant de façon partielle et orientée notre communiqué relatif à la Journée anticarcérale qui a été organisée le 10 à Poitiers, nous tenons à repréciser ici notre position. La critique que nous avons portée – et qui a seule retenu l’attention du Monde – sur la façon dont s’était déroulée la manifestation de l’après-midi avait pour unique finalité de discuter entre camarades d’un certain néo-avant-gardisme. Nous n’avons pas « condamné les casseurs », et avons même dit explicitement que la responsabilité de la casse revenait à la police.

De plus, nous avons dénoncé d’entrée le montage en épingle médiatique des incidents survenus, qualifiés à tort – mais non gratuitement – d’« émeute » par le pouvoir ; et nous avons fait état des violences exercées quant à elles dans un lieu privé par sa police, violences qui ont été beaucoup moins rapportées par la presse… L’irruption à la Rambo que les « forces de l’ordre » ont réalisée dans le local où devaient se dérouler un débat sur la prison, un repas puis un concert au cours de la soirée, ce même jour, s’est en effet traduite par des coups de matraque donnés à plusieurs personnes, parmi la centaine qui eurent droit à un traitement très spécial (assises par terre dehors, mains sur la tête, pendant cinq heures pour un contrôle d’identité avec prise de photo…), et par la destruction de tout le matériel de sono qui avait été prêté ou loué afin de permettre à des groupes musicaux d’assurer leur prestation.

Transformer le bris de quelques vitrines dans une rue et le taggage de quelques monuments dans d’autres lieux en un « saccage du centre-ville » prêterait à rire si, répercuté par les médias à aussi grande échelle, cette désinformation ne revenait à servir sur un plateau au gouvernement une nouvelle occasion d’utiliser sa panoplie sécuritaire et répressive. Après le quasi-couvre-feu qui a été instauré à Poitiers le soir du 10 pour jouer sur la peur des « bons citoyens » contre les « voyous », Hortefeu en visite le 12 dans cette ville sous haute surveillance a recommandé des peines exemplaires pour les huit personnes qui passaient en comparution immédiate – et il a bien sûr été entendu.

Quant à nous, nous affirmons l’urgence d’une solidarité envers ces personnes ainsi qu’envers le Collectif contre la prison de Vivonne, confronté aujourd’hui au remboursement de dettes importantes dues à une agression policière de plus (pour infos et soutien : collectifvivonne@gmail.com).


- La CNT (Confédération Nationale du Travail) Poitiers :

COMMUNIQUE DE PRESSE

Samedi 10 octobre un certain nombre d’individus ont instrumentalisé une initiative publique dite « anti-carcérale », prévue autour d’une manifestation et d’une soirée débat-concert. Ils ont imposé dans l’après-midi du 10, des formes spectaculaires de violence dans les rues de Poitiers.

Dans la soirée la police est intervenue au « 23 », espace culturel alternatif, où devaient se tenir débats et concerts, procédant à un contrôle d’identité mais aussi à l’arrestation de Samuel, militant de la CNT : Simple spectateur de la manifestation dans l’après-midi, comme d’autres militants d’autres organisations poitevines ayant pignon sur rue.

Lundi, Samuel et d’autres sont passés en comparution immédiate devant le tribunal de Poitiers. Dans l’intervalle le ministre de l’intérieur a demandé que la « justice sanctionne et durement ». On peut s’étonner, sur la base de la séparation des pouvoirs en démocratie, qu’un ministre de l’intérieur fasse pression sur des juges pour autre chose que rendre justice sur des bases sereines, en s’appuyant sur des faits.

Pour Samuel nous savons que ce jeune homme de 20 ans n’a en rien participé aux événements de l’après-midi, il en est sans doute de même pour d’autres condamnés dont il apparait très clairement qu’il s’agit de boucs émissaires.
Notre syndicat, qui se bat sur le terrain économique et social, condamne toute forme de violence autoritaire, qu’il s’agisse de la politique du bâton ou de la matraque. Notre syndicat apporte tout son soutien à Samuel et ses proches.

UL CNT  Poitiers
Le mardi 13 octobre 2009
http://www.cnt86.ouvaton.org/breve.php3?id_breve=115


- FA (Fédération Anarchiste) - Groupe Pavillon Noir (Poitiers) :

    (IN)JUSTICE D’ETAT : A QUAND VOTRE TOUR ?

    Un transfert de prisonniers a été prévu par l’Etat pour octobre 2009, de l’ancienne prison de Poitiers vers la nouvelle prison-Bouygues de Vivonne. Pour le 10 octobre 2009, une journée anti-carcérale avait été proposée par un collectif militant local, afin d’ouvrir le débat public sur une critique du système carcéral.
    Il s’agissait de rassembler les gens, pour débattre des alternatives au système du châtiment et de la violence carcérale, et manifester une opposition digne et résolue à cette nouvelle prison. La journée s’articulait autour du « 23 », un lieu associatif qui avait bien voulu prêter ses locaux ce jour, pour des débats et un concert.
    La journée a commencé vers midi par un débat très riche pour la qualité des interventions diverses. Un débat de fond, sur l’avenir des luttes anti-carcérales, devait avoir lieu le soir, suivi d’un concert pour lequel des groupes avaient fait le déplacement.
    Pour montrer qu’il y a des gens qui protestent contre la construction de cette prison de nouvelle génération, un rassemblement en centre-ville était aussi prévu l’après-midi. Un rassemblement dit « festif », dans le respect de l’esprit du festival culturel des Expressifs qui avait alors lieu à Poitiers.
    Mais la manifestation qui a suivi le rassemblement a été investie par des personnes qui avaient semble-t-il d’ores et déjà choisi d’autres façons de protester - selon des modes opératoires qui ont totalement pris au dépourvu nombre de participants. Cette minorité a peu à peu pris le contrôle de la manifestation, qui a rapidement dégénéré en un rapport de force entre certains manifestants et la police (tirs de flashball contre fusées et pétards). La manifestation a soudain reflué vers le centre-ville et a donné lieu aux dégradations matérielles aujourd’hui amplement relayées par les médias et les autorités.
    Il ne nous appartient pas de juger les actes commis en eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas les nôtres. Ils peuvent être compréhensibles, si l’on analyse la plupart de leurs cibles : des vitrines d’agences de banques ; une agence de Bouygues (dont la maison-mère a construit cette nouvelle prison de Vivonne, gère son entretien et à qui l’Etat verse un généreux loyer) ; des cabines de France Telecom, l’entreprise aux 25 récents suicides ; du « mobilier urbain » à destination publicitaire...
    Il est important de dire qu’il n’y a eu aucune violence délibérée contre la population.
    Néanmoins, si nous aussi dénonçons la violence insupportable de ce système qui mène le monde droit au mur et brise les individus, nous sommes en désaccord profond avec cette « stratégie » de destruction.
    Ces actions n’ont en effet été l’initiative que des individus qui les ont choisies ; or, elles ont immédiatement impliqué un grand nombre de personnes qui n’étaient ni prévenues ni préparées, et dont beaucoup n’étaient pas d’accord avec ces méthodes. Elles ont délibérément été commises dans le cadre d’une manifestation publique, mettant ainsi en danger tous les participants. Aucune personne ayant choisi ces actions ne pouvait ignorer que la mise en œuvre de celles-ci donnerait lieu, face à un Etat de nature fondamentalement répressive, à des réponses policières et judiciaires aux graves conséquences locales.
    En effet, cette répression s’est bel et bien abattue, d’une véritable violence, aveugle. Descente policière massive et brutale contre « le 23 », qui n’avait strictement rien à voir avec les débordements de la manifestation. Le concert a été annulé, du matériel sono dégradé, le public et les bénévoles malmenés par la police, pendant cinq heures : plaquages au sol ou mise à genoux, matraquages, menaces, insultes, mains sur la tête, photos systématiques...
    La répression, ce furent aussi des dizaines d’arrestations arbitraires, dont 18 donnant lieu à des gardes à vue éprouvantes. La police, bizarrement absente lors des débordements, s’est mobilisée en nombre pour le procès du lundi 12 octobre.
    Le gouvernement, par la voix de l’inénarrable monsieur Hortefeux téléporté sur Poitiers, en profite étrangement pour ressortir les lois de 1936 de derrière les fagots contre les « groupuscules ». Mais aussi pour pondre deux nouveaux décrets (à valider par le conseil d’Etat), consistant en deux nouveaux fichiers sur les lieux communautaires et sur les « groupuscules » supposés à l’origine de ces actes. On peut aussi s’interroger sur la cohérence d’une démocratie sensée s’inspirer de cette vieille théorie sur la séparation des pouvoirs, avec un ministre qui débarque à Poitiers pour un procès en comparution immédiate, demandant des peines exemplaires. Montesquieu doit se retourner dans sa tombe…
    Huit gardes à vue ont en effet débouché sur des comparutions immédiates forcées. Trois condamnés à la prison ferme (de un à quatre mois) plus du sursis et des amendes, dont deux ayant tout juste vingt ans. Pour les autres, du sursis allant de trois à six mois et des amendes. Tous des boucs-émissaires, n’ayant jamais commis les faits qui leur sont imputés, des preuves à l’appui de leur non-implication dans ces faits ayant été écartées volontairement, ainsi que des témoignages.
    Pour les dix autres personnes, relâchées à l’issue de leur garde-à-vue, trois sont poursuivies pour refus de prélèvement ADN. Dont une, mineure de quatorze ans ( !), subira des poursuites pour « rébellion », une accusation policière qui frise le grotesque quand on connaît un tant soit peu la jeune fille.
    Enfin, et c’est sans doute l’une autres tristes conséquences à long terme de cette manifestation et de la répression qui s’en est suivie : c’est tout le travail de fond, de nombreuses années, des militants libertaires auprès de la population, dont beaucoup étaient venus pour débattre d’alternatives à la prison, qui a été saccagé ce jour-ci - en trente minutes seulement.

    Bien sûr, en tant qu’anarchistes, nous devrons analyser tou-te-s ensemble ces événements et leurs retombées.

    Mais aujourd’hui, la priorité, ce sont les personnes enfermées en prison. Dans cette horrible prison de Vivonne, qui est le point de départ de tout cela. C’est le désarroi général, du côté des gens qui militent comme des gens qui vivent ici. Et la colère, face à tant d’injustice, tant ces condamnations sont révoltantes par leur absurdité. Bien au-delà de nos rangs, nous appelons immédiatement à soutenir toutes les victimes de cette parodie de justice, et nous appelons à la vigilance, face à toutes celles à venir.

    Groupe Pavillon Noir (Fédération anarchiste - Poitiers), le 13 octobre 2009




Les actes de destruction commis dans Poitiers n'étaient donc pas l'oeuvre de tous les participants à la manifestation, d'une part, et d'autre part, ces actes n'avaient jamais été le fruit d'une concertation préalable, prenant au dépourvu les organisateurs et les participants de la manifestation. Un comble si on défend des principes d'autogestion... Et au final, ce sont les personnes interpellées et condamnées (plusieurs ont pris un mois ferme) qui font les frais du groupe d'autonomes.

Les médias et le gouvernement ne cessent de coller l'étiquette d'ultra-gauche à différents groupes  d'autonomes qui pratiquent ce type d'action. Pourtant l'ultra-gauche,  qui à l'origine définissait les marxistes anti-léninistes au début du XXème siècle, a un  (au moins) de ses premiers théoriciens qui va à l'encontre de ce type d'action rencontré à la manifestation du 10 octobre. Il s'agit de Pannekoek, qui parle de "l'acte personnel" chez les révolutionnaires, et qui prend position contre les actions "violentes" pratiquées par des individus plus ou moins nombreux, mais ne s'incrivant pas dans un mouvement des masses ouvrières :


L'acte personnel
Anton Pannekoek

En ce qui concerne l’incendie du Reichstag par Van der Lubbe on peut relever les prises de positions les plus divergentes. Dans des organes de la gauche communiste (Spartacus, De Radencommunist) on l’approuva comme l’acte d’un communiste révolutionnaire. Approuver et applaudir un tel acte signifie conseiller sa répétition. C’est pourquoi il est nécessaire de bien apprécier son utilité.

Son sens ne pourrait être que de toucher, d’affaiblir la classe dominante : la bourgeoisie. Il ne peut en être question ici. La bourgeoisie n’a pas été touchée le moins du monde par l’incendie du Reichstag, sa domination n’a en aucune manière été affaiblie. Pour le gouvernement, ce fut au contraire l’occasion de renforcer considérablement sa terreur contre le mouvement ouvrier et les conséquences ultérieures de ceci devront encore être appréciées.

Mais même si un tel acte touchait et affaiblissait effectivement la bourgeoisie, la seule conséquence en serait de développer chez les ouvriers la conviction que seuls de tels actes individuels peuvent les libérer. La grande vérité qu’ils ont à apprendre, que seule l’action de masse de la classe ouvrière tout entière peut vaincre la bourgeoisie, cette vérité élémentaire du communisme révolutionnaire leur serait occultée. Cela les éloignerait de l’action autonome en tant que classe. Au lieu de concentrer toutes leurs forces sur la propagande au sein des masses travailleuses, les minorités révolutionnaires les gaspilleraient alors dans des actes personnels qui, même lorsqu’ils sont effectués par un groupe dévoué et nombreux, ne sont pas en état de faire vaciller la domination de la classe dominante, En effet, grâce à ses forces de répression considérables, la bourgeoisie pourrait aisément venir à bout d’un tel groupe. Il y eut rarement un groupe révolutionnaire minoritaire effectuant des actions avec plus de dévouement, de sacrifices et d’énergie que les nihilistes russes il y a un demi-siècle. A certains moments, il sembla même que par une série d’attentats individuels bien organisés, ils réussiraient à renverser le tsarisme, mais un policier français convoqué pour prendre en main la lutte anti-terroriste à la place de la police russe incompétente, réussit par son énergie et son organisation toute occidentale à détruire en quelques années le nihilisme, Ce n’est qu’après que se développa le mouvement de masse qui renversa finalement le tsarisme.

Un tel acte n’a-t-il pas néanmoins valeur de protestation contre l’abject électoralisme qui détourne les ouvriers de leur véritable combat ?

Une protestation n’a de la valeur si elle fait naître une conviction, en laissant une impression de force, ou, si elle se développe, la conscience, Mais peut-on raisonnablement croire qu’un travailleur qui pensait défendre ses intérêts en votant social-démocrate ou communiste, va commencer à émettre des doutes sur l’électoralisme, parce qu’on a incendié le Reichstag ? Tout cela est totalement dérisoire, comparé à ce que la bourgeoisie elle-même fait pour guérir les ouvriers de leurs illusions, en rendant le Reichstag complètement impuissant, en décidant de le dissoudre, en l’écartant du processus décisionnel. Des camarades allemands ont dit que cela ne pourrait être que positif puisque la confiance des ouvriers dans le parlementarisme recevrait ainsi un fameux coup. Sans doute, mais on peut tout de même se demander si ce n’est pas représenter les choses d’une façon quelque peu simpliste. Les illusions démocratiques se répandront alors par une autre voie. Là où il n’y a pas de droit de vote généralisé, là où le parlement est impuissant, c’est la conquête de la démocratie véritable qui est avancée et les travailleurs s’imaginent qu’ils ne peuvent y arriver que par ce moyen. En fait, une propagande systématique visant à développer à partir de chaque événement une compréhension de la signification réelle du parlement et de la lutte de classe, ne peut jamais être escamotée et est toujours l’essentiel.

L’acte personnel ne peut-il être un signal, la poussée qui met en mouvement cet immense combat par un exemple radical ?

Il est tout de même courant dans l’histoire que l’action d’un individu dans des moments de tension agisse comme l’étincelle sur un baril de poudre. Certes, mais la révolution prolétarienne n’a rien de l’explosion d’un baril de poudre. Même si le Parti communiste essaie de se convaincre et de convaincre le monde que la révolution peut éclater à tout moment, nous savons que le prolétariat doit encore se former à cette nouvelle façon de combattre comme masse. Dans ces visions perce encore un certain romantisme bourgeois. Dans les révolutions bourgeoises passées, la bourgeoisie montante, et derrière elle le peuple, se trouvait confrontée aux personnes des souverains et à leur oppression arbitraire; un attentat sur la personne du roi ou d’un ministre pouvait signifier le signal de la révolte. Dans la vision selon laquelle aujourd’hui encore un acte personnel pourrait mettre les masses en mouvement, se révèle comme la conception bourgeoise du chef, non pas du dirigeant de parti élu, mais du chef qui se désigne soi-même et qui par son action entraîne les masses passives. La révolution prolétarienne n’a rien à voir avec ce romantisme désuet du chef ; c’est de la classe, poussée par des forces sociales massives, que doit venir toute initiative.

Mais après tout, la masse se compose aussi de personnes et les actions de masse recouvrent un certain nombre d’actions personnelles. Certes, et c’est ici que nous touchons à la vraie valeur de l’acte personnel. Séparé d’une action de masse, en tant qu’acte d’individu qui pense pouvoir réaliser seul quelque chose de grand, il est inutile. Mais en tant que partie d’un mouvement de masse, il est de la plus grande importance. La classe en lutte n’est pas un régiment de marionnettes identiques marchant d’un même pas et réalisant de grandes choses guidées par la force aveugle de son propre mouvement. Elle est au contraire une masse de personnalités multiples, poussées par une même volonté, se soutenant, s’exhortant, se donnant du courage et rendant, de par leurs forces de nature différente, mais toutes concentrées vers le même but, leur mouvement irrésistible. Dans ce cadre, l’audace des plus braves trouve l’occasion de s’exprimer dans des actes personnels de courage, alors que la compréhension claire des autres dirige ces actes vers le but adéquat pour ne pas en perdre les fruits. Et dans un mouvement ascendant également, cette interaction des forces et des actes est de grande valeur, quand elle est dirigée par une compréhension claire de ce qui vit à ce moment-là parmi les ouvriers, de ce qu’il faut faire et de comment développer leur combativité. Mais dans ce cas, il faudra bien plus de ténacité, d’audace et de courage qu’il n’en fallut pour incendier un parlement !

Quant à nous, notre devoir reste toujours le même, hier comme aujourd’hui. C’est de nous grouper toujours plus unis, toujours plus ardents, dans notre parti de classe, le Parti socialiste de France. Les individus peuvent trahir, passer à l’ennemi, lequel a toujours plus d’avantages personnels à offrir que nous. Les classes, elles, ne trahissent jamais.

(Notons que le "Parti socialiste de France" dont il parle, n'a évidemment strictement rien à voir avec le PS d'aujourd'hui...)


Chez les anarchistes, la propagande par le fait, le terrorisme, l'action individuelle, a toujours été très discuté. Nombreux sont ceux qui ont compris que ce type d'action ne mène à rien, sinon à toujours d'avantage de répression de la part de l'Etat. Au XIXème siècle, l'anarchiste Kropotkine par exemple, bien qu'il soutenait au début les attentats anarchistes, revint sur ses positions pour ensuite prôner l'action syndicale. Ci-dessous, un extrait d'un article d'Anarchopedia :

Dans l'ensemble, la phase de "propagande par le fait" de l'anarchisme a été un échec, comme la grande majorité des anarchistes ont bientôt pu le voir. Kropotkine peut être considéré comme typique. Il n'a jamais aimé le slogan de propagande par le fait, et ne l'utilise pas pour décrire ses propres idées d'action révolutionnaire". Toutefois, en 1879, tout en "insistant sur l'importance de l'action collective" il a commencé à "exprimer une sympathie et un intérêt dans les Attentats" (ces "formes collectives d'action" ont été considérées comme agissant "au niveau syndical et au niveau communal") . En 1880, il "est devenu moins préoccupé par l'action collective et cet enthousiasme pour les actes de révolte par des particuliers et des petits groupes a augmenté". Cela n'a pas duré et Kropotkine a bientôt attaché "de moins en moins d'importance pour des actes isolés de révolte" en particulier une fois, "il a vu de plus grandes possibilités de développement de l'action collective dans le nouveau syndicalisme militant" [Caroline Cahm, Kropotkin and the Rise of Revolutionary Anarchism, p. 92, p. 115, p. 129, pp. 129-30, p. 205]. À la fin des années 1880 et au début des années 1890, il est venu à refuser de tels actes de violence. Cela était dû en partie à la simple répulsion face aux pire actes (comme l'attentat à la bombe au Théâtre de Barcelone en réponse aux meurtres par l'état d'anarchistes impliqués dans le soulèvement de Jerez en 1892 et l'attentat à la bombe d'Emile Henry dans un café en réponse à la répression étatique) et en partie en raison de la conscience que ça entravait la cause anarchiste.


Kropotkine a reconnu que la "vague d'actes terroristes" des années 1880 a provoqué "les autorités à prendre des mesures de répression contre le mouvement" et qui "n'était pas à son avis conforme à l'idéal anarchiste et n'a fait que peu ou rien pour promouvoir la révolte populaire". En outre, il était "inquiet de l'isolement du mouvement vis à vis des masses" qui "a augmenté plutôt que diminué suite aux préoccupations de" propagande par le fait. Il "a vu la meilleure possibilité de révolution populaire dans le... développement du nouveau militantisme dans le mouvement ouvrier. A partir de maintenant, il a porté de plus en plus d'attention sur l'importance des minorités révolutionnaires travaillant parmi les masses pour développer l'esprit de révolte". Cependant, même au début des années 1880 lorsque son soutien à des actes de révolte (sinon pour la propagande par le fait) a été le plus élevé, il a vu la nécessité collective de la lutte des classes et, par conséquent, "Kropotkine a toujours insisté sur l'importance du mouvement ouvrier dans les luttes pour amener à la révolution" [Op. Cit., Pp. 205-6, p. P. 208 et 280].

 

http://fra.anarchopedia.org/FAQAnar:A.2.18_-_Est-ce_que_les_anarchistes_supportent_le_terrorisme_%3F


Les vraies questions à se poser sont, semble-t-il, dans notre cas :
Est-ce que la manifestation du 10 octobre a servi ou desservi le mouvement anti-carcéral ?
La bourgeoisie a-t-elle été touchée par les dégradations ?
N'y a-t-il ne serait-ce qu'une personne extérieure à la manifestation qui se soit demandée s'il ne fallait pas remettre en cause le système carcéral ?

Dans tous les cas :

SOLIDARITE AVEC TOUTES LES VICTIMES DE LA REPRESSION !
A BAS LA VIOLENCE DE L'ETAT ET VIVE L'ACTION MASSIVE ET REVOLUTIONNAIRE DE LA CLASSE EXPLOITEE
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